Triage aux soins intensifs
La première vague de Covid-19 passée, voilà que la suivante pointe le bout de son nez et avec elle la question du triage des patients aux soins intensifs.
La question du triage des patients aux soins intensifs revient sur le devant de la scène. Le 1er novembre, la NZZ am Sonntag rapportait le début de ce triage en Valais. Dans le but de maintenir une capacité d’accueil pour les cas ayant une meilleure perspective de guérison, les responsables ont refusé la prise en charge d’un patient âgé. Voilà une situation qui souligne la violence qui accompagne ces dilemmes éthiques.
En fin mars 2020, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) et la Société suisse de médecine intensive (SSMI) ont précisé leurs directives pour le triage des patient-es en cas de pénurie de ressources. Dans ce contexte, ethix - laboratoire d’éthique de l’innovation avait proposé une série de scénarios éthiques sous forme de sondage afin de donner l’occasion à toutes et tous de se confronter à ces questions. Du 30 mars au 21 avril, plus de 2’000 personnes ont ainsi participé à ce sondage. Cet échantillon est représentatif de la population suisse sous l’angle de l’âge et du genre. Nous résumons ici les principaux résultats de cette consultation citoyenne. Ces résultats sont particulièrement intéressants à mettre dans le contexte de la “deuxième vague”. Les directives de l’ASSM ont d’ailleurs été actualisées le 4 novembre dernier.
D’abord, le sondage met en lumière la confiance accordée par la population dans la méthode et l’approche générale adoptée par les directives de l'ASSM. Pour 50% des participant-es, les critères d’admission doivent être déterminés à l’avance par des experts, des scientifiques et à moindre titre des médecins.
Quant à l’application de ces critères dans les centres hospitaliers, il est à noter que la décision au cas par cas des spécialistes médicaux obtient également un fort soutien avec près de 37% des personnes interrogées. Sur le fond, une grande majorité des participant-es (78%) est d'accord avec le principe de non-discrimination (pas d’importance accordée à la nationalité, au statut d'assuré ou à la position sociale) qui est présenté par l’ASSM comme l’une de ses règles de base.
Outre ces questions générales, le sondage a voulu “tester” les personnes interrogées en les interrogeant sur des scénarios qui portent sur une situation conflictuelle. À qui donner la priorité lorsque les ressources médicales ne suffisent pas ? Prenons quelques exemples de situations conflictuelles imaginées qui ont été soumises aux participant-es.
Une de celles-ci consistait à imaginer un scénario où il n’y aurait plus qu’un seul respirateur pour deux personnes avec les mêmes chances de survie mais un âge différent. Dans ce cas, 63,5% des personnes interrogées sont favorables à la priorité donnée à la personne la plus jeune car celle-ci possède une espérance de vie plus longue.
Un autre exemple intéressant porte sur le fait d’avoir une famille. Dans une situation où les 2 personnes ne se différencient plus sur leur âge mais sur le fait d’avoir ou non des enfants, 49% de participant-es ont voté pour le père/mère alors que 36% préfèrent laisser le choix au hasard.
Mais dans certaines situations de conflit, les participant-es ont choisi de ne pas considérer le critère que nous leur soumettions. Prenons l’exemple de l’appartenance nationale. Pour une écrasante majorité des participant-es (89%), l’admission dans les soins intensifs ne doit pas se limiter à nos frontières nationales.
Il en va de même pour le critère portant sur le comportement jugé négligent de la personne et qui l’aurait mené à se retrouver dans cette situation critique. Pour 70.6 % des participant-es, on ne doit pas favoriser une personne au détriment d’une autre en fonction de son comportement individuel.
Soulignons que le sondage prenait également en compte l’impact des facteurs démographiques (genre, âge, langue, niveau de formation, présence d’un cas de coronavirus parmi les proches) sur les scénarios favorisés. Néanmoins, de manière générale, il apparaît que ces critères démographiques n’ont pas exercé une grande influence. À titre d’exemple, les réponses sont presque similaires entre hommes et femmes. De même, la langue ou la présence d’un patient corona parmi les proches n’ont presque eu aucun impact. L’âge des participant-es est peut-être un facteur plus important. Par exemple, dans la situation conflictuelle où la différence entre les deux patients à sauver porte sur l’âge, 69% des participant-es de moins de 30 ans ont tendance à donner la priorité à la personne la plus jeune, contre 57% chez les plus de 65 ans. Egalement, dans la situation qui porte sur la solidarité internationale, 85% des personnes de moins de 30 ans soutiennent une admission aux soins intensifs qui ne se limite pas aux personnes issues du territoire national, contre 97% chez les plus de 65 ans.
Pour plus de résultats, l'accès aux données brutes (pour tous les amateurs d'analyse de données) est disponible ici.